
Éthique et environnementalisme
Cette page présente un regard philosophique sur l'activisme environnemental contemporain, examinant plus particulièrement la montée de l'éco-vandalisme – attaques symboliques contre des objets culturels et des œuvres d'art – comme tactique de protestation pour une justice climatique urgente. S'appuyant sur le modèle de désobéissance civile de Martin Luther King Jr., l'ouvrage soutient que si le message derrière ces actions repose sur des préoccupations environnementales scientifiquement fondées et sur une responsabilité éthique envers les générations futures, ces méthodes peuvent être moralement injustifiées lorsqu'elles portent atteinte à la confiance du public ou au patrimoine culturel.
​
S'appuyant sur l'éthique environnementale à long terme de John Nolt, cet essai souligne notre devoir envers les populations futures et les lacunes éthiques des politiques environnementales actuelles. Il critique les tactiques de protestation perturbatrices qui ne respectent pas l'éthique procédurale de King – à savoir la collecte d'informations, la négociation, l'auto-épuration et l'action directe non violente – et appelle à un activisme moralement cohérent, ancré dans une communication efficace et la solidarité publique.
​
Cette analyse guide les valeurs d’ATAAS : nous prônons le changement par le biais d’une narration scientifique respectueuse, d’une justice réparatrice et d’une communication éthique — et non par la destruction ou l’aliénation.
Éco-vandalisme et éthique morale : une analyse utilisant le cadre du Dr King
Kyle Edward Kuthe
🕒 Temps de lecture estimé : 8 à 10 minutes
Dans un contexte de changement climatique, de nombreux actes d'« écovandalisme » ont été commis dans le monde entier, ciblant des tableaux et des objets historiques avec de la peinture et de la nourriture, comme la Joconde à Paris, en France, les Tournesols de Van Gogh à Londres, en Angleterre, et La Naissance de Vénus à Florence, en Italie. Ces actes visaient à protester contre les politiques contribuant au réchauffement climatique systématique et anthropique, soulevant des questions sur l'éthique et la justification morale de la désobéissance civile et de ses tactiques. Un exemple notable s'est produit en août 2023 lorsque le groupe On2Ottawa a dégradé un tableau de Tom Thomson au Musée des beaux-arts du Canada en l'éclaboussant de peinture lavable, tout en exigeant du gouvernement fédéral la création d'une agence nationale de lutte contre les incendies de forêt de 50 000 membres pour lutter contre les incendies de forêt au Canada (Raymond, 2023). Des incidents similaires, dont celui d'On2Ottawa, ont souvent été liés à un réseau international plus vaste de groupes de résistance civile environnementale appelé A22 (Jacobo, 2022). Il est donc important d’adopter une approche holistique pour évaluer ces événements d’éco-vandalisme afin de déterminer si le vandalisme d’objets historiques est un moyen moralement justifiable de mettre en évidence le changement climatique et les problèmes environnementaux systémiques.
Martin Luther King Jr. propose un cadre éthique solide pour évaluer les campagnes non violentes dans l'une de ses œuvres les plus marquantes, sa « Lettre de la prison de Birmingham » (1963). Rédigée pendant sa détention, cette lettre explique pourquoi les militants des droits civiques ont résisté aux lois ségrégationnistes injustes par l'action directe non violente. D'un point de vue philosophique, l'éthique de l'action directe non violente prônée par King fournit un cadre fondamental pour répondre aux systèmes injustes et à l'éthique de la désobéissance civile.
En adoptant le point de vue éthique appliqué du Dr King, on peut affirmer que si des actes comme l'écovandalisme sont substantiellement justes, fondés sur des preuves scientifiques et l'urgence du changement climatique, ils sont procéduralement injustes. Les tactiques de vandalisme choc ne respectent pas les critères de King pour les campagnes non violentes. Ainsi, le cadre de Martin Luther King suggère que des actions comme celles d'On2Ottawa ne justifient pas la destruction de biens culturels, ce qui rend ces manifestations à la fois moralement injustifiées et inefficaces pour communiquer leur message.
L'évaluation des actes d'écovandalisme, comme celui d'On2Ottawa en août 2023, peut être menée en deux parties dans le cadre du Dr King : premièrement, en abordant les évaluations de fond de la justice en utilisant les cinq critères de King pour les lois injustes (figure 1), et deuxièmement, en évaluant la justice procédurale de l'acte de protestation en utilisant les quatre étapes de King pour une campagne non violente (figure 2).

Politique injuste – Une évaluation pour l'avenir
Martin Luther King Jr. affirmait que l'action directe est nécessaire pour confronter les systèmes qui violent la loi morale, dégradent la personnalité humaine et perpétuent l'injustice systémique. La non-violence exige du courage moral et vise à réconcilier plutôt qu’à aliéner. Son cadre a influencé les mouvements de protestation contemporains en insistant sur le fait que certaines lois sont injustes et doivent être contestées par des moyens non violents. Selon King, les lois injustes sont celles qui « ne sont pas en harmonie avec la loi morale », qui « dégradent la personnalité humaine » ou qui sont imposées par une majorité à une minorité sans représentation équitable (King, p. 1-2, 1963).
​
Les campagnes d’éco-vandalisme, comme la manifestation On2Ottawa à la Galerie nationale du Canada, prétendent cibler des politiques climatiques injustes qui permettent des émissions non durables et la dégradation de l’environnement. Ces politiques peuvent être considérées comme injustes selon les critères de King, car elles nuisent aux générations présentes et futures. Le philosophe John Nolt, dans Environmental Ethics for the Long Term (2015), soutient que les considérations éthiques à long terme sont essentielles pour comprendre la responsabilité de l’humanité envers les personnes du futur. Nolt souligne qu’à des échelles plus larges — telles que les chronologies géologiques ou évolutives — la durée de vie humaine moyenne devient négligeable, et le raisonnement éthique doit s’appuyer sur des données empiriques, des inférences logiques et des modèles scientifiques pour projeter les conséquences des actions actuelles (Nolt, p. 1, 2015).
​
Selon le cadre de King et l’éthique anthropocentrique à long terme de Nolt (la théorie de notre responsabilité environnementale envers les personnes du futur), les politiques qui permettent la poursuite des émissions polluantes et de la déforestation violent la loi morale (Nolt, p. 93, 2015). Par exemple, les lois qui autorisent l’exploitation non durable des ressources, telles que l’abattage massif d’arbres ou la pollution industrielle, répondent aux critères de King pour des lois injustes. Ces politiques sont « en désaccord avec la loi morale » et « dégradent la personnalité humaine » en compromettant le bien-être des générations futures. Les sociétés occidentales ne sont pas structurées pour considérer la majorité des êtres humains comme égaux, car elles ignorent la grande majorité des personnes futures qui existeront et la responsabilité morale de traiter les conséquences du réchauffement climatique sur elles (Nolt, p. 93-94, 2015).
​
Nolt souligne en outre le principe utilitariste de la réduction des souffrances, qui est fondamental en éthique environnementale à long terme. Grâce à des preuves empiriques claires, Nolt démontre que le dérèglement du climat terrestre entraînera des souffrances et des décès à grande échelle dans les siècles à venir (Nolt, p. 94, 2015). Cela soulève la question philosophique de savoir si les personnes du futur ont une importance ou un statut moral moindres que celles du présent. Un calcul utilitariste simplifié suggérerait qu’une population future croissante, partageant le même statut moral, devrait largement l’emporter sur les intérêts des générations actuelles. Les politiques aux conséquences à long terme, comme l’inaction climatique, nuisent donc intrinsèquement aux populations futures.
​
Selon Nolt, la définition la plus souvent citée du développement durable, tirée du rapport Notre avenir à tous (Our Common Future) de 1987, stipule que le développement doit « répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs » (Nolt, p. 119, 2015). Les politiques climatiques contemporaines échouent à satisfaire cette exigence, car elles ne répondent ni entièrement aux besoins actuels, ni ne protègent la capacité des générations futures à prospérer. Les sociétés occidentales, structurées autour de priorités économiques à court terme, négligent souvent l’obligation morale envers les personnes futures, ce qui renforce les dommages systémiques. Il se pourrait même qu’il soit impossible de restructurer les lois et politiques actuelles pour satisfaire les exigences d’un avenir réellement durable et sans pollution, car la société est déjà trop avancée dans des systèmes et environnements bâtis non durables.
​
À l’heure actuelle, il est évident que les changements climatiques correspondent aussi au critère de King selon lequel les lois injustes sont imposées par une majorité à une minorité sans représentation. Les pays riches et les grandes entreprises, principaux responsables des émissions de gaz à effet de serre, nuisent de manière disproportionnée aux communautés à faible revenu et aux groupes marginalisés. Ces groupes ont peu d’influence sur les politiques climatiques, mais subissent les conséquences les plus graves de la dégradation environnementale (Nolt, p. 82-87, 2015). Des pays à faible altitude comme Tuvalu et le Bangladesh font face à des impacts catastrophiques, tels que la montée des eaux, bien qu’ils contribuent très peu aux émissions mondiales. De même, les peuples autochtones, qui possèdent une connaissance profonde des pratiques durables, sont fréquemment exclus des décisions politiques sur le climat tout en subissant les dommages de projets industriels tels que les pipelines (Nolt, p. 82-87). Selon Nolt, les scientifiques prévoient que ces conditions ne feront qu’empirer avec le temps, aggravant encore les torts causés aux générations futures (Nolt, p. 119, 2015).
Une évaluation procédurale
Si les campagnes d'éco-vandalisme menées par les militants pour le climat s'attaquent à un problème indéniablement grave et injuste : la crise climatique, leurs tactiques ne respectent pas le cadre de campagne non violente de Martin Luther King Jr. Ce cadre établit quatre étapes pour garantir la légalité procédurale de la désobéissance civile : la collecte des faits, la négociation, l'auto-épuration et l'action directe (Figure 2). L'éco-vandalisme ne respecte pas ces exigences procédurales.
D'une part, l'éco-vandalisme cible des peintures, des artefacts et des monuments historiques comme Stonehenge, qui ne contribuent pas au changement climatique. Cibler ces symboles culturels ne s'attaque pas explicitement aux causes systémiques du réchauffement climatique d'origine anthropique. Au contraire, ces actions détournent l'attention du problème central, détournant l'attention des débats sur les méthodes de protestation plutôt que sur la nécessité d'agir pour le climat. Cela affaiblit la clarté du message des militants. L'action directe doit également suivre les tentatives légales de négociation, absentes des manifestations éco-vandalistes. Ces actions manquent souvent de tentatives de dialogue publiquement documentées avec les décideurs, privilégiant des tactiques de choc qui aliénent le public et sapent leur cause.
L'écovandalisme viole encore davantage le principe d'auto-épuration de King, car il manque de la retenue morale et de la discipline qu'il a soulignées dans sa lettre. Bien que non violente envers les individus, la destruction d'objets culturels est provocatrice et peut être perçue comme une attaque plutôt que comme une démonstration mesurée de conviction morale. Enfin, l'action directe doit cibler les systèmes d'injustice et rester proportionnelle au préjudice traité. La vandalisation d'objets culturels et historiques manque de proportionnalité, car ces objets n'ont aucun lien avec les industries des combustibles fossiles ou les politiques climatiques. De tels actes aliènent des alliés potentiels, y compris ceux qui sont favorables à l'action climatique, en apparaissant destructeurs et injustes.
Conclusion – Communication du message moralement injuste et inefficace
Si les campagnes d'éco-vandalisme visent à lutter contre l'injustice critique et systémique du changement climatique, leurs tactiques ne respectent pas l'éthique procédurale de Martin Luther King Jr. pour l'action non violente. Ces manifestations manquent d'un lien clair avec les causes profondes des dommages environnementaux. En apparaissant téméraire et provocatrice, l'éco-vandalisme aliène des alliés potentiels et affaiblit la légitimité du message de justice climatique. Pour qu'un tel activisme environnemental soit efficace, il doit s'aligner sur les principes de Martin Luther King, cibler directement les systèmes d'injustice par des informations factuelles et susciter une réflexion morale plutôt que la controverse.

Figure 3. Représentation graphique de jardins communautaires hypothétiques à l'observatoire David Dunlap, par Kyle Edward Kuthe. Réalisé avec Adobe Photoshop, des photographies originales et des images libres de droits d'Adobe Stock.
Bibliographie
-
Jacobo, J. (11 novembre 2022). L'éco-vandalisme est-il efficace pour sensibiliser au changement climatique ?
Changement climatique ? L'avis des experts. ABC News. https://abcnews.go.com/International/eco-vandalism-effective-raise-awareness-climate-change-experts/story?id=93004269 -
King, ML, Jr. (1963). Lettre de la prison de Birmingham. The Atlantic Monthly, 212(2), 78-88.
-
Nolt, J. (2015). Éthique environnementale à long terme : Introduction. Routledge.
-
Raymond, T. (29 août 2023). Un manifestant pour le climat macule une œuvre de Tom Thomson à
Musée des beaux-arts du Canada. CTV News. https://ottawa.ctvnews.ca/climate-activist-smears-paint-over-tom-thomson-piece-at-national-gallery-of-canada-1.6539387

